Aloys ou le Religieux du mont Saint-Bernard (1829)
Aloys ou le Religieux du mont Saint-Bernard, publié sans nom d’auteur à Paris en 1829 chez Vezard (1 vol. in-12).
Résumé & Analyse
Traditionnellement présenté comme la mise en scène, après l’Olivier* de Mme de Duras, celui de Latouche et l’Armance de Stendhal, de l’impuissance d’un héros, insistant plutôt sur un amour impossible, Aloys, initialement attribué à Mme de Duras, qui avait favorisé sa publication et qui elle-même rédigea un Moine du saint-Bernard resté inédit, mais dont l’anonymat fut vite percé, traite un type plutôt qu’un cas. Le héros, dont l’aventure sentimentale évoque très précisément celles de Custine, est avant tout l’emblème d’une génération douloureuse, et le récit, par le trajet du jeune homme, nous fait passer d’un romantisme souffert à sa guérison.
Précédé d’un Avant-propos de l’éditeur, Aloys se présente comme le récit fait par un Français, qui, après avoir perdu une femme adorée, traînait son chagrin en Italie du nord au printemps 1815. Un orage le surprend au passage du mont Saint-Bernard. Un moine le sauve, et à l’invitation du prieur, lui fait lire le manuscrit où il raconte sa conversion. Né juste avant la Révolution, timide et mélancolique, frère Pierre s’était lié d’amitié avec le comte de T., par qui il rencontre la volontaire et séduisante Mme de M***, et tous l’encouragent à épouser sa fille de 15 ans. Ils se fiancent, mais le jeune homme, d’hésitation en délire, ne sait comment échapper à cette “union abhorrée”. Il écrit à Mme de M*** pour renoncer sans donner de raison. Mme de M*** veut lui faire avouer son secret, et organise sous couvert d’une soirée dans son salon, l’établissement d’un diagnostic par un graphologue genevois. Le médecin décèle dans l’écriture de la lettre le “caractère bizarre” d’un “homme à imagination”. Une dernière entrevue provoque l’aveu du héros: “ne me condamnez pas au supplice de vous appeler ma mère”. Mme de M***, bouleversée, se voit confirmer ce qu’elle soupçonnait. Elle est aimée de son futur gendre: “ma pauvre fille! qu’ai-je fait?”. Le jeune homme se réfugie au monastère. Sa lecture finie, le voyageur s’écrie: “Vous êtes Aloys”. C’est qu’il a reconnu celui que sa femme, l’ex-Mlle de M***, n’avait cessé d’aimer. Elle est morte désespérée, ainsi que sa mère.
“C’est une barre de fer entortillée de coton”: la formule du graphologue rejoint les termes de la lettre d’Aloys: “L’honneur m’obligeait à ne pas rétracter ma parole, la religion me prêche la conversion, qui n’est qu’une rétractation universelle. J’obéis à Dieu et je quitte le monde”. Sous l’empire d’un attachement “infernal”, le héros vit dans une instabilité morbide. Se livrant à l’introspection pour chercher une explication à cet état, il est aussi travaillé par un rêve d’absolu, qu’il réalisera au cloître. Réunissant “tous les contraires”, son caractère triomphe du dilemme où le placent sens du devoir, passion et impossibilité de la satisfaire, mais la sublimation ne peut se produire qu’au terme de souffrances dont la seule source est à chercher dans l’individu.
Inceste fantasmé, aveu retardé à l’extrême, tourments du moi, retour à l’origine de l’enfance, drame de la jeunesse, indécision, rapport difficile à la femme: malgré la sobriété du style, Aloys relève du romantisme le plus dense. Peu importent au fond que Mlle de M*** rappelle Clara, fille de Mme de Duras ou Albertine de Staël, que derrière l’impuissance ou l’inceste puisse se profiler l’homosexualité refoulée, que la scène de graphologie ait effectivement eu lieu chez l’auteur d’Ourika*: Aloys exprime sous la forme d’une confession un malaise personnel, un conflit avec la Loi et la société, la force du sentiment, à laquelle Dieu seul permet d’échapper.
Auteur : Gérard GENGEMBRE
Source : Daniel COUTY et Jean-Pierre de BEAUMARCHAIS (dir.), Dictionnaire des œuvres littéraires en langue française, Paris, Bordas, 1994
Bibliographie
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Aloys, D. de Margerie (éd.), Paris, Librairie Fontaine, 1983;
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Aloys, P. Sénart (éd.), Paris, U.G.E., coll. “10/18”, 1971;
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TARN, Julien-Frédéric, Le Marquis de Custine, Paris, Fayard, 1985.
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À paraître bientôt chez Classiques Garnier dans une édition de Marie-Bénédicte DIETHELM.